mercredi 24 septembre 2025

Nomination de Sébastien Lecornu : entre légalité constitutionnelle et tentation de dissolution


Ancien Secrétaire Général avec plusieurs années d’expérience, Pierre-René LAVIER met aujourd’hui son expertise au service des entreprises et des organisations privées à la recherche d’un accompagnement stratégique de haut niveau. Spécialisé dans la gestion des affaires juridiques, administratives et opérationnelles, j’ai acquis une solide expérience en matière de gouvernance d’entreprise, de gestion des risques et de conformité réglementaire

La désignation de Sébastien Lecornu à la tête du gouvernement, dans un contexte de majorité fragile, soulève à nouveau la question de la dissolution de l’Assemblée nationale. Deux mécanismes prévus par la Constitution de 1958 se croisent ici : la compétence présidentielle de nomination et la prérogative de dissolution, toutes deux au cœur de la rationalisation du parlementarisme.

I. La nomination gouvernementale : une compétence présidentielle encadrée

Aux termes de l’article 8, alinéa 1er, de la Constitution, « le président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». Cette disposition place la nomination au cœur des prérogatives présidentielles. Elle n’est soumise à aucun contreseing, ce qui confirme sa nature de pouvoir propre du chef de l’État.

La doctrine (Favoreu, Philip, Pacteau) rappelle toutefois que la liberté présidentielle s’exerce dans un cadre politique contraint : le gouvernement nommé doit, pour exister, bénéficier de la confiance implicite ou explicite de l’Assemblée nationale. À défaut, la procédure de l’article 49 (motion de censure ou responsabilité sur un texte) peut être rapidement actionnée, rendant la nomination juridiquement valide mais politiquement insoutenable.

La situation actuelle illustre cette tension : la désignation de Sébastien Lecornu ne pose aucune difficulté de légalité, mais interroge sur la possibilité de gouverner durablement sans majorité claire, situation que la Constitution n’exclut pas mais rend instable.


II. La dissolution de l’Assemblée nationale : fondements et contraintes juridiques

L’article 12 de la Constitution prévoit que « le président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale ». Cette formulation consacre un pouvoir discrétionnaire du président, la consultation n’étant qu’un préalable formel et non une condition de validité.

La Constitution impose néanmoins deux limites majeures :

  • une dissolution ne peut intervenir dans l’année qui suit une précédente (article 12, al. 3) ;

  • les élections doivent se tenir entre vingt et quarante jours après la dissolution (article 12, al. 2).

La jurisprudence confirme le caractère non justiciable de l’opportunité de la dissolution : le Conseil constitutionnel, saisi en 1997 lors d’un recours contre le décret de dissolution décidé par Jacques Chirac, a déclaré son incompétence à en apprécier la légalité au fond (décision n° 97-2552 AN, 25 juin 1997). Comme le souligne Didier Maus, « la dissolution est une arme politique, non un acte susceptible de contrôle juridictionnel sur le fond ».


III. L’articulation entre nomination et dissolution : une dialectique sous la Ve République

La doctrine constitutionnelle insiste sur le fait que la nomination et la dissolution constituent deux volets complémentaires du parlementarisme rationalisé. Le président peut nommer librement, mais le risque de voir son choix censuré par une majorité hostile conduit à envisager la dissolution comme mécanisme correctif.

Georges Vedel relevait déjà que « la dissolution est l’ombre portée du droit de nomination ». De même, Olivier Duhamel rappelle que la dissolution a souvent été utilisée soit pour renforcer une majorité, soit pour sanctionner une cohabitation insoutenable.

Dans le cas de Sébastien Lecornu, la question est de savoir si son gouvernement parviendra à négocier une majorité de circonstance, ou si son échec ouvrira mécaniquement la voie à une dissolution. Comme l’écrit Guy Carcassonne, « la Constitution donne les moyens, mais la politique fixe les limites ».


IV. Perspectives et enjeux doctrinaux

L’analyse de cette séquence confirme plusieurs constantes de la Ve République :

  1. Primauté présidentielle : la nomination et la dissolution, toutes deux relevant du président, renforcent sa centralité dans le régime.

  2. Dépendance politique : l’effectivité de la nomination dépend d’un équilibre parlementaire ; à défaut, la dissolution devient une option nécessaire.

  3. Fragilité de l’instrumentation juridique : si le droit est clair, sa mise en œuvre dépend du calcul politique et du rapport de forces, confirmant que la Constitution, selon l’expression de Pierre Avril, est « un texte à la fois juridique et politique ».


Conclusion

La désignation de Sébastien Lecornu illustre la solidité du cadre constitutionnel et, simultanément, sa dépendance aux aléas politiques. Juridiquement, rien n’interdit au président de nommer un Premier ministre sans majorité assurée, ni de recourir à la dissolution pour sortir d’une impasse. Mais doctrinalement, cette séquence rappelle la nature duale de la Ve République : un régime qui, en conférant de larges prérogatives au chef de l’État, fait du droit constitutionnel un instrument au service d’un choix politique.

Pierre-René LAVIER

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